Ce matin, les portes du café n’ouvriront pas et les pancartes seront closed. On a pris les devant, on s’auto-confine, enfin presque. Comme partout dans le monde, les informations néozélandaises ne sont pas rassurantes. On a les yeux rivés sur l’Italie et l’Europe. Ce jeudi 19 mars, il y a 28 cas de Covid-19 recensés. C’est peu, quand on sait qu’au même moment la France en répertorie plus de 6000 cas. Mais c’est justement en voyant cette évolution forte que l’on doit prendre à notre tour des mesures. Nous fermons donc le café une semaine avant le lockdown officiel. En revanche le camping est toujours ouvert pour permettre aux touristes de trouver un point de chute pour la nuit. On limite les contacts, les campeurs rient quand on leur demande depuis combien de temps ils sont en Nouvelle-Zélande. Beaucoup depuis plusieurs mois, ouf, mais il y en a qui sont là que depuis une dizaine de jours. A leurs yeux, notre choix de fermer le café semble excessif, j’aurai aimé les croiser une semaine plus tard. Je crois surtout qu’ils ont vu leurs vacances partir en fumée, et je peux le comprendre, ça rend aigri.
Les frontières de la Nouvelle-Zélande ferment ce même jour. Voilà, je suis au bout du monde et coupée du monde, façon de parler. Ah oui, j’ai eu une bonne nouvelle deux jours plus tôt : j’ai obtenu un visa de travail d’un an. J’ai pu bosser une journée au café… et moi qui attendais aussi ce visa pour pouvoir partir en vacances avec mes parents et pouvoir revenir sans soucis en Nouvelle-Zélande. On oublie donc le travail et les vacances. Comme beaucoup d’entre vous, mes plans tombent à l’eau. Evidemment, pas de chômage partiel pour moi. Alors il faut trouver une reconversion. Le choix de job en temps de confinement est limité. Sinon j’aurai pu devenir boulanger moi aussi avec mes superbes baguettes – et faire découvrir ce qu’est VRAIMENT le pain aux néozélandais. J’aurais pu être paysagiste aussi, je suis devenue la pro du débroussailleur. Finalement, le job idéal en ces temps de confinement s’est avéré être chercheur d’or. Je me qualifierais davantage d’orpailleuse « nettoyeuse d’or » suivant ma fonction dans cette micro-entreprise qui emploie deux personnes : Dean et moi.
Je dois dire que tout était réuni pour cette reconversion. Notre localisation d’abord. Nous sommes en bord de route, au milieu de nulle part face à la rivière. Le plus proche village, Westport, est à 30 minutes en voiture. Donc pour le confinement c’est parfait. En « travaillant » à la rivière, aucun risque n’est pris concernant le coronavirus. Ensuite, on vit avec un chercheur d’or, ce qui aide beaucoup. En effet, Steeve, 60 ans, né à Westport, est chercheur d’or à temps plein. Il est venu s’installer au café dans sa caravane il y a un peu moins de deux ans. Il faut dire que le café a une longue histoire avec les chercheurs d’or. Avant d’être un café, auberge de jeunesse et camping, ou encore un pub ce fut un hôtel. D’abord appelé Old diggings, signifiant « Vieilles fouilles » dans les années 1870, il prit le nom de John Berlins, propriétaire de l’hôtel durant trente ans à partir de 1874. L’hôtel avait alors 14 chambres, une étable pour les chevaux et une « bonne table ». A cette époque-là, la ruée vers l’or en Nouvelle-Zélande avait déjà bien commencée. Car c’est ce matériau jaune qui, comme en Amérique du Nord et en Australie, a attiré les colons puis les chinois à venir prospecter dans ce pays au bout du monde. C’est en 1865 que commence la prospection de l’or sur la côte Ouest. Les villages sortent de terre comme des champignons. Lyell, a une vingtaine de kilomètres du café en est un très bon exemple. En 1873, face à la demande des mineurs et de leur famille, le village se compose de six hôtels, trois magasins, une quincaillerie, trois bouchers, un boulanger, deux bottiers, un forgeron et une école. Difficile à croire quand on passe devant Lyell aujourd’hui en bord de route, qui se compose exclusivement d’un camping gratuit et d’une maison. J’imagine donc que l’hôtel Old Diggings a donc profité de cet essor.
150 ans plus tard, à moi de marcher sur les pas de ces pionniers. Enfin j’exagère un peu. Car les rôles sont bien répartis, Dean est à la rivière, c’est lui qui fouille et extrait le sable (et l’or) et moi je nettoie. Je suis un peu déçue car ce n’est donc pas moi qui trouve l’or, mais c’est tout de même intéressant de le voir apparaître sous le sable. Et je ne suis pas sûre qu’à l’époque les femmes avaient l’opportunité d’aider à la prospection. Et puis les conditions de travail ne sont pas si idéales qu’elles ne paraissent. Car cela pourrait être idyllique, travailler au milieu de la nature, un décor de carte postale, écoutant les chèvres sauvages bêler. Mais alors que les quinze premiers jours de confinement ont été ensoleillés, depuis, on peut compter les jours où il ne pleut pas sur les doigts d’une main. Et même quand il fait beau, le brouillard ne laisse place au soleil que vers 11h, après déjà deux heures de travail dans l’eau et sous le froid. Steeve et Dean sont bien équipés puisque Dean a récupéré les combinaisons et bottes waterproof de Steeve, il n’y a donc rien à ma taille. C’est surement un signe. Et puis il ne faut pas oublier qu’on est au pays des sandflies. Ces mouches de sable qui sévissent en Nouvelle-Zélande surtout près d’un point d’eau – on est face à la rivière… J’ai essayé de lutter, et puis j’ai cédé, adieu short et T-shirt, maintenant c’est grosse chaussette, pantalon, pull même à plus de 20°C. J’ai essayé le répulsif mais il y aura toujours un endroit de la peau qu’elles trouveront toujours à piquer. Et ce n’est pas comme un moustique qui te tourne autour, non là ce sont des dizaines de petits moucherons qui ne cherchent qu’à dévorer ton sang. Et quand ils ne trouvent plus de peau sur le corps, ils s’attaquent au visage. Non, je crois qu’il faut être né avec eux pour ne plus les voir et savoir faire abstraction. Quand tu viens de France où tu peux te mettre en maillot de bain sur ta terrasse sans qu’aucun moucheron ne vienne t’attaquer, difficile de s’avouer vaincu ici. Donc finalement je ne regrette pas tant que ça d’avoir un simple petit rôle dans l’histoire, entre le froid, les sandflies, la pluie (souvent) et la position (courbée), je ne suis pas si mal sur ma chaise à nettoyer l’or.
Après avoir vanté les conditions de travail, je vais essayer d’expliquer comment l’on procède. D’abord, pour pouvoir prospecter de l’or en Nouvelle-Zélande il faut avoir un permis. D’après la loi Crown Minerals Act 1991, l’état est propriétaire de l’or qui se trouve sur le sol néozélandais. Il faut donc obtenir un claim (je n’ai pas réussi à trouver de traduction), c’est-à-dire une parcelle de terre bien définie où tu peux extraire des minéraux. On parle alors d’un prix à cinq chiffres, pour dissuader les chercheurs d’or du dimanche. Ensuite il faut du matériel d’orpaillage. D’abord un bateau, celui de Steeve, car l’orpaillage se fait de l’autre côté de la rivière. C’est là que tout se joue. Ils utilisent chacun des dragues par aspiration : « Les dragues par aspiration reposent sur l’injection d’eau sous pression venant d’une pompe à eau. L’eau est injectée dans un tuyau métallique vers le sens contraire du bec d’aspiration, l’eau qui remonte crée une dépression et un phénomène d’aspiration d’eau au niveau du bec. Grace à cette aspiration, on peut aspirer le sable et le gravier aurifère mélangé à l’eau ». L’or étant plus lourd que le sable ou la roche, grâce à la gravité, nous récupérons l’or dans les tapis de la machine. Steeve a une drague plus puissante que celle de Dean, il peut aspirer davantage de matériau et donc d’or. Ils restent au bord de la rivière en moyenne cinq heures par jour, dépendant beaucoup des conditions météorologique. Une fois rentré, c’est à mon tour de travailler. Dean rentre avec un seau à moitié plein de sables et cailloux. Ce sont les matériaux tombés dans les différents tapis de la drague. Par une fabrication artisanale faite par Steeve, je passe d’abord le sable dans un tube fileté pour être récupéré dans un second seau. Ce dernier sera de nouveau nettoyer par un ami à Steeve qui a une machine récupérant les plus infimes particules d’or. Normalement il y en a peu car l’or est tombé dans les creux du tube. Et c’est après ça que vient le plus intéressant. Car avec l’or, il reste encore du sable dans le tube. A l’aide d’un pan on enlève d’abord le sable blanc et les cailloux, plus léger. Le pan ou la batée sont les éléments indispensables de tout chercheur d’or. La batée a une forme de chapeau chinois, le pan a un fond plat. Puis avec une autre gestuelle le sable noir. Et TADAM ! Formé de particules mais aussi de petites pépites, l’or brille. La magie opère. Et plus tu en vois, plus tu en veux ! Chaque jour on espère avoir LA nugget (pépite), mais c’est Steeve qui gagne à ce jeu-là.
Une fois bien nettoyé, on fait chauffer l’or à la poêle pour enlever l’eau. Viens l’heure de la pesée. Malgré que l’on n’ait pas de pépites, on arrive à avoir quelques grammes. Des milliers de particules, ça pèse. Il faut savoir que le cours de l’or augmente fortement. Aujourd’hui par exemple, 1 once (=28g) équivaut à 1 569,26 €. Cela explique l’engouement pour l’or mais au détriment de la nature. Car à notre échelle, les dégâts restent plutôt minimes. Ils deviennent beaucoup plus importants quand les fouilles ne se font plus à la main mais à grand coup de bulldozer. Mais comme le dit Derek Grzelewski dans son article sur l’or paru dans le New Zealand Geographic, « depuis les temps historiques et au-delà, l’or a exercé une emprise implacable sur l’imagination, le cœur, l’âme et les poches des humains ». Et l’or a de quoi fasciner avec tous ses atouts : presque indestructible, l’or est malléable et ductile a l’infini. Il est aussi l’un des métaux les moins réactifs, n’étant pas affecté par l’air, la chaleur, l’humidité.
Mais je dois avouer que notre petite entreprise n’est pas si lucrative. Avec toute la pluie qui est tombée ces derniers temps, il est difficile de prospecter. La rivière monte rapidement, souvent de plusieurs mètres, bloquant l’accès de la rivière en bateau. Et il faut attendre encore quelques jours pour que le niveau de l’eau baisse. Je dois me rendre à l’évidence je ne vais pas devenir chercheuse d’or professionnelle, ce n’est pas un travail assez stable. Mais grâce à ce confinement j’aurai un très joli collier en or !