Ça commence mal…
Nouvelle frontière, nouveau pays. Mon entrée en Bulgarie fut… fracassante. À peine 10km de fait, bim, un nid de poule. Route de Bulgarie 1 – pneu arrière 0. Je suis sur une route en plein soleil, pas d’arbres à l’horizon. Je commence à démonter, j’ai les mains toutes noires et je dégouline de sueur. Bienvenue en Bulgarie ! Mais à peine ai-je commencé à mettre ma nouvelle chambre à air, qu’un jeune couple bulgare s’arrête. Rapidement l’homme m’aide à remonter la roue, la femme repart puis revient avec 2 bouteilles d’eau ! Voilà comment passer de “purée ça me soule” à “le voyage à vélo c’est génial”. Je ne traîne pas, je souhaite rejoindre la prochaine ville pour midi pour avoir ma famille au téléphone. Je m’arrête dans un café à Vidin, au bord du Danube que je retrouve. Nous discutons un moment, il est déjà 14h30 quand je reprends la route. Heureusement il ne me reste plus beaucoup de kilomètres pour aujourd’hui. Il n’y a pas beaucoup de camping dans cette région en Bulgarie, et pour ma première nuit dans ce pays je ne veux pas faire de bivouac. D’autant plus avec ce qu’il vient de se passer : je quitte Vidin le ventre vide. Bien qu’il ne me reste qu’une dizaine de kilomètres, 15h, je préfère manger un bout. Les alentours ne sont pas glamour, je trouve un escalier d’une boutique fermée, à l’ombre, pour manger mon pâté (si, si, Bejan la veille m’a donné une boîte qui ressemble à du pâté pour chat…). Je ne me régale pas, mais ça m’aidera à tenir les derniers kilomètres. Un gamin, la vingtaine, tourne autour de moi sur son petit vélo jaune. Au moment où je range mes affaires et m’apprête à partir, il vient vers moi. Je lui propose mon pâté, moi je n’en veux plus. Je comprends très rapidement que ce n’est pas de ça dont il a envie. Tout en me regardant, il met sa main sur son sexe, puis regarde derrière lui, et me dit quelque chose en Bulgare. Je ne parle pas la langue mais j’ai très bien compris quelque chose comme “vient on va baiser derrière”. J’essaie de ne pas montrer mon dégoût, je lui dis juste non, et commence à partir. Et là, il me barre le chemin avec son mini vélo. Il ne me laisse pas passer, toujours sa main sur son pénis. Heureusement, j’arrive à feinter, et passe derrière lui. Je fonce tout en criant de me laisser tranquille. Ouf avec ses petites roues il ne fait pas le poids et n’arrive pas à me suivre. Je manque de déraper et quand je me retourne pour vérifier qu’il n’est plus là, la peur et la pression retombent. Je fonds en larmes. Je me calme toute seule. Faire du vélo à plus de vertu que je ne le pensais. Les quelques kilomètres restant m’aident à penser à autre chose, surtout trouver le camping. Ça me fait faire un détour de 7km mais au moins je serai en sécurité. J’en ai tellement marre des hommes. Non je ne fais pas d’amalgames, ce qui est arrivé cet après-midi n’a rien à voir avec la Bulgarie, mais bien avec les hommes. Car la même chose peut m’arriver en France. J’ai envie d’être entourée de femmes. Bon pour ce soir c’est raté, je vais rencontrer que des mecs. Mais des sympas. D’abord un ami du gérant, qui m’accueille et me montre les lieux dans un anglais très approximatif. Et puis arrive Henk, un belge parti faire le tour du monde en vélo en tricycle couché. Je passe une superbe soirée avec lui, nous partageons notre repas accompagné de moustiques. Passionné de musique et de voyage, il me permet d’oublier ma journée.
Je continue le long du Danube
J’hésitais entre deux routes pour rejoindre la Turquie : couper la Bulgarie en direction du sud pour rejoindre la Grèce vers Thessalonique et longer la côte pour la Turquie, ou continuer sur l’Eurovelo 6 le long du Danube et prendre le sud le long de la mer noire. Henk va suivre cette deuxième option, je vais donc faire de même (je suis vite influençable). Et puis on se donne rendez-vous le lendemain soir à un autre camping, à 70km de celui-ci. Ne roulant pas à la même vitesse, on fait route à part. Malheureusement je ne le reverrai jamais, ayant eu un problème mécanique avec son vélo, il a dû repartir sur Vidin. Ce n’est pas vraiment un camping d’ailleurs ce soir-là, mais un couple d’anglais qui font chambre d’hôte les 6 mois d’été et qui, à force d’avoir des demandes de cyclistes, ouvrent leur jardin aux âmes vagabondes. Ce soir il n’y a pas d’autres cyclistes, il y en a très peu sur cette section car beaucoup longe le Danube par la Roumanie, c’est plus plat. Par contre, il y a un motocycliste, anglais lui aussi. Ça me tue quand il me dit qu’il vient de faire Londres ici en une semaine, moi qui ai mis un mois et demi, depuis Lyon… il va en Grèce en hommage de sa femme originaire de là-bas, décédée il y a un an d’un cancer. Une belle preuve d’amour.
A travers les collines bulgares
Quand lui part tôt le matin pour éviter la chaleur – 4h du matin, moi je ne suis pas si matinale et décolle à 7h30. Il n’y a plus de camping sur les 300 prochains kilomètres. Alors aujourd’hui, mon seul but c’est de faire une centaine de kilomètres pour avancer un peu. Mais effectivement la Bulgarie n’est pas très plate. Ça monte, ça descend, ça remonte, ça redescend… Mais dans cette campagne vallonnée je peux profiter de beaux points de vue sur le Danube, ça change. Et profiter d’une plage au bord de la rivière pour me baigner et déjeuner. Il ne manque pas non plus de fontaines pour remplir ma gourde. Les kilomètres défilent, je trouve aussi mes premières figues sur la route, de quoi me donner de l’énergie. Je tente d’aller jusqu’à un village au bord du Danube pour trouver où dormir. Après avoir demandé, un homme m’indique le bout du village, il y a un restaurant face au Danube. Je m’arrête boire un sprite. Le gérant est super sympa bien que ne parlant pas anglais. La gentillesse est internationale et n’a pas besoin d’avoir le même langage pour être comprise. Avec du bon rock en musique d’ambiance, je décide de rester manger. Je lui fais confiance pour le plat, ce sera une assiette de salade tomates/concombre/oignon avec une montagne de fromage bulgare dessus et une assiette de poulet et oignons marinés au soja – un peu salé, heureusement il m’offre une bouteille d’eau. Le soleil commence à se coucher, je peux aller planter ma tente, en essayant de trouver un endroit discret, plat et à l’abri du vent. Je peux faire ma toilette et ma lessive dans le Danube, le moment est magique (si on fait abstraction des moustiques). Je peux profiter du coucher du soleil, seule face au Danube. Et une fois la nuit tombée, hop je file sous la tente. Malgré moi, je repense à cette agression, elle m’a plus impacté que je ne le voudrais. Je me rassure en me disant que sous la tente, personne ne sait si je suis un homme ou une femme. Je ne m’endors pas si paisiblement donc mais le vent va me bercer toute la nuit.
Au matin, je ne tarde pas. Les moustiques attaquent, c’est une invasion, je plie très vite bagage. Je vais au prochain village pour un petit-déjeuner près d’une fontaine. Ce matin c’est test de confiture bulgare, à la rose. Je crois qu’ils aiment beaucoup faire des choses à ce goût là. Plutôt bon. Je démarre tôt, je veux aussi avancer bien que m’attend un peu de dénivelé aujourd’hui. Enfin ça c’était mon plan. À peine 10km de fait, et bim, roue arrière à plat. La série a commencé. Route de Bulgarie 2 – pneu arrière 0. Cette fois c’est une épine. Plus de chambre à air de secours, il faut que je répare. Ouf, il y a un arbre pour me mettre à l’ombre. Et j’y arrive toute seule, mon pneu est toujours dur à remettre alors je suis plutôt fière de l’avoir remis sans l’aide de quelqu’un. Bon j’ai évidemment de la graisse de partout. Mais pas de soucis, maintenant je visite les stations services sur ma route, il y a toujours des toilettes. Il est temps de pédaler avec toujours un œil sur ma roue arrière, pas hyper confiante dans ma réparation. Mais si, ça tient. Je quitte le Danube pour monter dans les terres. Aujourd’hui c’est l’anniversaire de mon neveu, c’est toujours un peu dur de ne pas être là pour les moments en famille. Mais pour célébrer de loin ses 4 ans, je m’offre une glace. C’est aussi parce qu’il fait incroyablement chaud. Déjà 80km, je les ai trouvés bien durs mais ce n’est pas fini. Pas de camping, il va falloir trouver un endroit pour poser la tente. J’ai repéré un passage sur Google maps qui me permettrait de rejoindre le Danube. Allez je vais voir. 20km plus tard, je rentre dans ce petit chemin. Sur la carte ça paraissait une superbe idée, dans les fait pas du tout. Alors que j’ai à peine fait 200m, je me retrouve sous un bois, je me fait littéralement dévorer par les moustiques. Impossible de mettre un pied à terre, il faut que j’avance vite pour les fuir. Persévérante, je fonce mais pédaler devient impossible. Me voilà à courir à côté de mon vélo (autant vous dire que courir avec 30kg à côté c’est pas évident). Surtout que je cours pour un cul de sac… il est 18h30, 100km dans les jambes, et je dois faire demi-tour, le plus rapidement possible. Je suis énervée contre moi-même, à me mettre dans des situations pareilles. Dommage que je sois seule dans ces moments-là car j’aurais aimé en rigoler avec quelqu’un après coup ! Bon là c’est pas drôle, je ne sais pas où dormir. Mais je n’ai plus la force ni l’envie de faire davantage de kilomètres. Alors je roule un peu, trouve une tour abandonnée. La route est très calme, aller ça ira très bien pour une petite nuit. Ma chambre sera derrière, à l’abri des regards, la cuisine/salon sur les marches en béton, salle de bain/toilettes quelque part dans les buissons. Voilà comment transformer un endroit pas hyper pittoresque en une maison très confortable (dans mon imagination).
Mais j’ai très bien dormi. Comme c’est tout de même pas idéal, je plie tout et je roule quelques kilomètres pour aller dans la ville suivante prendre un petit déjeuner. Je vais dans un French café, qui n’a pas vraiment grand chose de français. Je peux goûter au banista, le burek bulgare (je les goûte dans tous les pays, je peux les comparer). Aujourd’hui j’ai un camping en vue ! Après 3 jours sans douches, un peu de confort ne me fera pas de mal. Il est sur la route, 80km à faire. Et en pleine montée, à une allure de limace, un cyclovoyageur, Jean-Luc, vient à ma rencontre. À son terrible accent anglais, je comprends tout de suite qu’il est français. Il est bientôt midi, on fait route ensemble jusqu’au prochain village où l’on pourra faire une pause pour déjeuner sur la place, à l’ombre. On apprend à se connaître autour d’une pastèque qu’il partage avec moi. Je raconte mon histoire, il me raconte la sienne. Il a pris la route depuis Yssingeaux en Haute-Loire pour rejoindre la mer à Constanta en hommage à sa femme décédée d’un cancer il y a un an avec qui il avait déjà fait des petits bouts en vélo de l’Eurovelo 6. Ce voyage n’est donc pas facile pour lui, surtout moralement. Car physiquement, c’est un passionné de vélo. Alors les kilomètres il les enchaîne beaucoup plus vite que moi. Nous finissons les 30 kms ensemble jusqu’au camping. Super camping, avec vue sur un canyon et le petit village bulgare en contrebas. Nous rencontrons même la personne responsable de promouvoir l’application “Dunav ultra”, la piste cyclable que nous suivons, le long du Danube en Bulgarie jusqu’à la mer noire. Il s’occupe aussi des partenariats comme ici avec ce camping. Super intéressant. Une douche ultra appréciable, un dîner avec Jean-Luc et hop au lit.
Dans la roue de Jean-Luc
Car il faut de l’énergie pour essayer de suivre le rythme de Jean-Luc. Nous décidons de faire route ensemble jusqu’à Constanta pour se soutenir tous les deux. C’est une journée pas facile pour lui aujourd’hui, cela fait un an jour pour jour que sa femme est partie. Alors pour essayer de rendre cette journée moins douloureuse, et bien on pédale ! J’apprends à rouler dans les roues de son vélo. Je ne suis pas hyper à l’aise, de peur de toucher sa roue et nous faire chuter. Mais ça me fait tout de même gagner de la vitesse. Nous nous arrêtons à Ruse, la 5e grande ville de Bulgarie. Nous ne prenons pas trop le temps de visiter cette “petite Vienne”, reconnue pour son architecture néo-baroque. Mais un arrêt tout de même au magasin de vélo (car ça ne court pas les rues!) pour faire le plein de chambre à air. Sortir de cette ville n’est pas très fun, et nous attend une cinquantaine de kilomètres encore moins fun. Sur une route nationale roulante, je me mets dans la roue de Jean-Luc pour avancer au plus vite. Et après 80 km, nous méritons une petite glace. Mais nous choisissons la pire ville pour une glace : Tutrakan. Au bord du Danube, celle-ci est construite sur une colline. Et la place du village est.. en haut. La glace est donc perchée, il faut monter la chercher. Et finalement l’heure tourne, il est temps de trouver où dormir. Après avoir essayé rapidement de trouver un coin pour bivouaquer, Jean-Luc me convainc de partager une chambre d’hôtel. À 30€, cela revient à 15€ chacun, moins cher qu’une auberge de jeunesse. Bien que je préfère dormir dans ma tente qu’à l’hôtel, j’accepte. Nous en trouvons un face au Danube. Parfait pour voir le coucher de soleil sur la rivière.
… mais ça finit bien !
Après une bonne nuit, nous sommes prêts à avaler les kilomètres. Ce soir, nous serons en Roumanie ! Enfin va pas falloir être pressé. Car en essayant d’éviter toujours cette grande route, nous avons pris les petites routes. Petite route bitumée, qui devient petit chemin en cailloux. Secoués, ça va vite devenir un calvaire. À la première occasion nous revenons sur la grande route, pénible aussi mais au moins on avance ! Premier détour inutile. Et à peine nous revenons sur le droit chemin, Jean-Luc est à plat. Arrêt réparation à l’ombre dans la cour d’un entrepôt de camions. Les chauffeurs viennent nous proposer de l’aide, mais Jean-Luc s’en sort très bien. Déjà 11h, et nous voilà repartis. Plus que 40 km jusqu’à Silistra, dernière ville avant la frontière Roumaine. 40km interminables et vraiment pas drôles. Surtout que la faim se fait ressentir. On s’arrête déjeuner, toujours une pastèque, passion de Jean-Luc. Ça nous aide à finir les derniers kilomètres bulgares. Jean-Luc se rend compte à Silistra qu’il vient de perdre ses lunettes de vue.. il va finir le voyage en lunettes de soleil, la route va être bien sombre pour lui !! Une glace pour se remonter le moral et nous voilà à faire la queue pour la Roumanie.
Mais la Bulgarie ce n’est pas fini. Je la retrouverai dans quelques jours, après avoir relié Constanta. Cette ville au bord de la mer noire est un but pour beaucoup de cyclovoyageurs car c’est là que se termine l’Eurovelo 6. Le Danube faisant partie intégrante de mes journées depuis un mois maintenant, je me suis aussi prise au jeu de le suivre jusqu’au bout. Direction la mer donc.