Je remets les pieds/roues en Serbie
Fin de matinée, j’arrive à la frontière Serbe. Il y a la queue. J’ai plaisir à doubler tout le monde pour aller présenter mes papiers. Une première après 5 pays traversés. Il y a encore une piste cyclable, je rejoins la prochaine petite ville pour aller déjeuner à l’ombre sur la place publique. Je ne prends pas le temps de retirer de l’argent et je continue. De nouveau, je pensais être plus futée que mon application Komoot, et je coupe pour m’éviter une dizaine de kilomètres. Sauf que la route indiquée sur la carte n’est pas goudronnée… me revoilà sur une piste. 15km en plein cagnard, secouée et finalement pas très rapide. Ça m’apprendra. Retour des chiens errants, j’avais oublié ce petit détail. Mon eau chaude n’étanche pas ma soif, je m’arrête donc dans le bar d’un village. Je demande s’il prend la CB n’ayant pas de liquide, non. Je pense qu’il peut lire la déception sur mon visage (et la transpiration) et m’offre un sprite! Cette boisson fraîche et sucrée a encore plus de saveur. Il me reste encore quelques kilomètres, je me suis mise en tête d’aller jusqu’à Kikinda. Je crois que la seule raison c’est pour le nom de la ville que je trouve drôle et pour une fois facile à retenir. Et puis 80km ça me suffit largement pour aujourd’hui. Mais pas de camping dans les environs. Bon cette fois je vais retirer des dinars serbes, je vais quand même envisager de payer mes consommations ! Je trouve un distributeur dans le centre ville. Je sais que le bivouac est autorisé en Serbie, mais pour autant j’aimerais trouver un endroit sûr. Comme je ne sais pas trop où, le mieux c’est de demander à un local. Je vois un gars assis devant son magasin le temps d’une pause clope. Ouf il parle anglais. Je m’assois avec lui, après m’avoir indiqué le nord de la ville pour un endroit tranquille pour la nuit, nous discutons un peu. Au fur et à mesure, il m’offre des fruits puis de l’eau. Au culot, je lui demande si finalement il n’a pas un bout de jardin où planter ma tente. Srdjan, son prénom (prononcez Sergian) me dit pas de soucis, j’ai juste à attendre qu’il termine sa journée, il travaille comme opticien, et termine à 20h. Ça me laisse le temps d’errer dans le petit centre de Kikinda. Il vit à 15 minutes en vélo du centre, parfait je le suis. Il vit avec son père, dans l’ancienne maison de sa grand-mère, qu’il a agrandi. Je rencontre Yvan, son papa. Lui ne parle pas anglais, mais est d’une gentillesse incroyable malgré la difficulté de communiquer entre nous deux. J’apprends à mieux connaître Srdjan, lui aussi a pas mal vadrouillé, surtout sur les bateaux de croisière où il a travaillé pendant 10 ans. Je crois qu’il rêve de repartir à l’étranger mais pour le moment, il prend soin de son papa qui vient d’avoir une opération.
Un week-end à Kikinda
Le lendemain, la journée ne pouvait pas mieux commencer : comme promis la veille, Yvan est allé nous acheter du burek pour le petit-déjeuner ! Moi qui en rêvait, voilà mon tout premier burek au fromage du voyage ! J’avais un peu (volontairement) oublié la dose de gras, mais c’est toujours aussi bon. Surtout que finalement, Srdjan me propose de rester le weekend pour un barbecue avec ses amis. Il n’en fallait pas plus pour m’inciter à lâcher le vélo pour quelques jours. Un peu de repos pour mieux repartir. 3 jours à Kikinda. Ça me laisse le temps d’envoyer un colis en France avec mes affaires chaudes dont je n’aurai plus l’utilité sous les 35°. Heureusement Srdjan m’aide au guichet de la Poste Serbe, car cela semble bien compliqué… après 2 heures d’aller et retour, j’y suis arrivée. Pendant que Srdjan travaille, je me repose chez lui, à l’ombre sur la terrasse. Et le weekend, place aux barbecues. D’abord le samedi chez Igor et Milja qui m’ont gentiment invité. Nous les retrouvons tôt le dimanche matin, et ensemble nous allons passer la journée près de la rivière Tisza, la même que j’ai suivi en Hongrie. Les parents d’Igor ont une caravane à l’année dans un camping pour locaux – principalement pour papi/mamie ! Je suis l’objet de curiosité de la journée ! Je rencontre les voisines, je déguste toutes les spécialités possibles de la Serbie (en une journée, je pense que j’ai assez mangé pour la semaine !) : Sarma (plat traditionnel de Serbie, choux fermenté farci à la viande et au riz), barbecue avec du pain couvert de beurre et d’épices et grillé au barbecue (commun en Serbie), du rakija bien-sûr… On se baigne sur la “côte d’Azur Serbe”, plage de terre, une première. Le tout accompagné de musique Serbe que tout le monde, sauf moi, chantonne ! Superbe ambiance.
Une journée en Roumanie
Après ce beau weekend Serbe avec de belles rencontres, je reprends la route requinquée et prête à affronter les kilomètres ! Kikinda n’est pas loin de la frontière Roumaine. Et pour m’éviter d’aller sur Belgrade, déjà vu, je traverse la frontière pour aller découvrir la Roumanie le temps d’une journée. Une journée sous le signe de la cigogne que j’ai pu voir partout dans les villages, perchée dans leur nids sur les poteaux électriques. Mais aussi sous le signe de la pluie : je me suis pris une belle averse, de quoi être trempée !! Heureusement, un burek sous un abribus me remonte le moral, je reste zen. Je vise une rivière près de Jaša Tomić, en Serbie, pour un bivouac – toujours pas de camping par ici. Jaša Tomić est le premier village une fois la frontière avec la Serbie retraversée. À la recherche d’un coin où dormir, je trouve un endroit calme, avec table et banc. Parfait. Je tombe sur un papi. Ne parlant pas anglais, je mime, tente/dormir/ici ? Il me fait non de la tête. Bon… mais il m’invite à boire un jus. L’endroit est vraiment parfait, j’insiste. Il me dit ok. Super. Je ne perds pas de temps, je vais me baigner, me laver et faire ma lessive tant bien que mal dans la rivière en essayant de ne pas mettre de la vase de partout. Lui part, il me laisse du pain, tomates, oignons si besoin. Je commence à m’installer, préparer mon repas du soir quand arrive une autre voiture. Cette fois un homme et son fils. C’est le neveu du papi. Il parle un peu anglais, on arrive à faire une discussion. Avant de repartir, il m’offre des mûres, trop gentil. On se fait bouffer par les moustiques, il est temps de monter la tente, faire la vaisselle dans la rivière et se laver les dents. Mais à peine la vaisselle commencée, j’entends des voix de femmes. Je remonte et trouve 3 jeunes femmes près de ma tente. La plus jeune, Tatijana, m’explique que le papi est venu leur dire qu’une jeune fille (moi) dormait sur son terrain. Elles sont venues voir si tout allait bien, m’ont apporté des biscuits. Et finalement je remballe tout et les suit à pied jusqu’à chez elles. Je suis invitée chez Tatijana et sa maman Tamara accompagnée de leur voisine d’en face, Mirjana. Elles m’offrent un 2e dîner Serbe, je suis repue mais j’ai plaisir à partager ce moment avec elles. On apprend à se connaître avant que je tombe de sommeil vers minuit. Je ne planterai pas ma tente, Tatijana me laisse sa chambre !
De belles rencontres féminines
Je pensais reprendre la route le lendemain mais finalement, après avoir partagé un énorme petit-déjeuner/brunch fait d’oeufs, de charcuterie Serbe, fromage et pain le tout accompagné d’un verre de yaourt à boire, il est déjà bien tard pour prendre la route. Et puis je me sens vraiment bien avec elles trois, heureuse pour une fois d’être entourée de femmes. Je retrouve le papi de la veille, l’occasion de partager un verre de rakija. Il devient mon papi car dans sa jeunesse il avait fricoté avec une française lorsqu’il était en Croatie pour son service militaire. Qui sait ?!
Le père de Mirjana travaillant pour le service des sports de la mairie de Jaša Tomić, il m’offre le diplôme de “la première femme à faire Lyon / Turquie en vélo passant par Jaša Tomić” !! Et pour l’occasion, on fait des photos, Mirjana m’interview (c’est ma première interview !! Je suis stressée !). Elle a écrit un article qui est paru sur le site internet de la ville mais aussi sur le journal Serbe Novosti. Je suis tellement honorée ! J’ai l’impression d’être une star le temps d’une journée ! J’ai pu passer du temps avec chacune d’entre elles, me permettant d’en apprendre plus sur leur histoire personnelle. Je passe d’une maison à une autre. Et pour finir cette belle journée, nous allons nous promener le soir dans les rues de Jaša Tomić que Tatijana me présente en anglais.
Rouler plus vite que l’orage
Comme à chaque fois que mon chemin croise des gens formidables, il n’est pas facile de partir. Mais j’ai une deadline ! Alors après avoir appris à cuisiner un Gibanica (un peu comme le burek mais en moins gras) avec Mirjana, je décolle. Je suis accompagnée en vélo par Tamara jusqu’à la sortie de la ville avant de voler de mes propres ailes. C’est noir et menaçant, mais j’ai du chemin à faire pour aujourd’hui. Il y a un camping près des lacs de Bela Crkva, 100km, mon but du jour. Je ne suis pas partie bien tôt, je ne traîne pas. Suivant les conseils de mon Papi Serbe, je prends les petites routes, m’évitant le trafic et passant par les petits villages. Les orages sont encore derrière moi, j’avance assez vite. Je prends au plus court pour arriver au plus vite, la fin de la route est fermée par un portail. Ouf il y a un trou dans le grillage, je finis en portant le vélo. Heureuse d’être arrivée, surtout qu’il se met à pleuvoir. Alors je patiente un peu avant de planter ma tente, profite de la wifi (je n’ai pas internet, la Serbie n’étant pas dans l’union européenne). Bien que le camping soit un peu bruyant, la fatigue m’emporte très rapidement.
Le retour du Danube
Surtout que le lendemain matin, j’ai mis le réveil (enfin c’était au cas où, car je suis toujours réveillée à 6h avec le soleil). J’ai 9 km de vélo à faire pour attraper le ferry de 7h30 à Stara Palanka (sinon je dois attendre 10h30). C’est davantage une barque, avec un système que je n’avais jamais vu, un bateau qui change de sens le long de la barque en restant accroché à l’avant mais en tournant à l’arrière. Pas sûr que vous compreniez mes explications mais je trouvais que ça changeait des autres ferry. Me voilà traversant le Danube pour retrouver l’eurovelo 6. Cette partie est vraiment la plus belle que j’ai pu faire le long de cette rivière. La Roumanie de l’autre côté, je roule à travers les villages serbes. Je fais une pause pour visiter la forteresse de Golubac. Datant du XIVe siècle, elle est idéalement située à l’entrée des Portes de fer, surnom des gorges du Danube que je m’apprête à découvrir. Me voilà dans le parc national de Djerdap. C’est magnifique. J’ai d’autant plus le temps de profiter de la vue que le dénivelé commence à se faire ressentir. Je n’avais plus utilisé mon petit plateau depuis si longtemps, j’avais presque oublié son existence. La route est jonchée de nombreux petits tunnels (une vingtaine) et aucun avec éclairage. Je n’ai pas rechargé ma lampe arrière… je serre les doigts et les fesses, heureusement il n’y a pas trop de voitures. Un gars s’arrête, Dejan, me donne une pêche et des gâteaux. Il me donne son numéro de téléphone, il est en vacances à Negotin dans sa maison de famille, c’est sur ma route mais pas aujourd’hui. Ce soir je vais à un des rares camping sur mon chemin. Bon il faut grimper sur 2 km mais ça en vaut la peine car depuis là-haut, la vue est splendide. Je peux profiter d’un coucher de soleil sur le Danube et passer la soirée avec Simon, un allemand voyageant aussi à vélo. Lui étant sur le chemin du retour après être allé en Géorgie, je vois bien qu’il n’est plus dans le même mood. Je me revois il y a 2 ans, je ressentais la même chose une fois mon objectif atteint. La passion du voyage n’est plus la même. Moi, au contraire, je suis toute excitée.
126 km : les doigts dans le nez
Le lendemain, après un petit déj avec les lumières matinales sur le Danube (pas de lever de soleil, je ne suis pas si matinale…), je peux prendre la route. Comme Simon m’a dit que la veille il avait démarré à Negotin, par fierté pour moi même, je me dis que je peux aussi le faire, dans l’autre sens donc. J’ai contacté Dejan pour lui demander si je pouvais planter ma tente ce soir dans son jardin. 125km m’attendent. Je n’ai jamais fait autant avec mes bagages (enfin même sans mes bagages je ne pédale pas autant…). Les 50 premiers kilomètres défilent très vite, j’ai le vent dans le dos, je fais des arrêts photos, met de la musique, profite de la vue. Je suis bien contente d’être de ce côté du Danube, en Roumanie il y a des bouchons et beaucoup de camions. Les 50 suivants ne sont pas si drôles, je change de direction, je n’ai plus le vent dans le dos. Il commence à faire chaud. Les 26 derniers kilomètres sont un calvaire. D’une part car l’Eurovelo me fait passer par des petits chemins de pistes où les arbustes n’ont pas été taillés, je mange des ronces.. 10km horribles, je remonte sur la grande route. Et là je me dis que j’aurais dû aller au camping. Cet homme que je pensais sympa, me met rapidement très mal à l’aise. Ma liberté en prend un coup. Alors qu’il me reste une dizaine de kilomètres pour arriver chez lui, je le vois arriver en sens inverse en voiture. Qu’est-ce qu’il fait là ??? J’ai pas compris, il fait la voiture balai devant moi ?? Il pense que je ne sais pas utiliser un GPS et que je vais au feeling jusqu’en Turquie ? Je regrette déjà mon choix alors que je ne suis même pas chez lui. J’avais espoir qu’il y ait d’autres membres de sa famille, mais non il est tout seul. À peine arrivé il me prend mon vélo, manque de le faire tomber car surpris par son poids (mon pauvre vélo). Je me revois exactement dans la même situation qu’il y a 2 ans en Serbie. Chez un homme, qui me dicte ce que je dois faire. Je me sens tellement mal, mais pas si simple de prendre la poudre d’escampette. Il ne parle pas bien anglais, et je me fais limite engueuler quand je ne comprends pas ce qu’il dit. Après il reste très gentil, m’offre à manger, du poisson, je peux prendre ma douche et malgré mon souhait de dormir dans ma tente, je n’ai pas le choix que de dormir dans la chambre (croyez-moi j’ai insisté). À table il tient des propos qui ne me plaisent pas du tout, ceux d’un homme qui souhaite contrôler les femmes. Il m’avoue qu’il ne comprends pas mes parents, que lui, que ça soit sa femme ou sa fille, il ne les laisserais jamais faire ce que je fais. Après avoir écouté son discours patriarcal, j’ai le droit au discours qui tend un peu sur le racisme envers les Bulgares. “Fais attention à eux, ils sont pas comme nous, ils sont pas aussi bons que les Serbes”…. Ça ne vaut plus la peine de l’écouter. Entre ma fatigue physique – car à cause de lui je n’ai même pas pris le temps de m’auto féliciter, comme si 126km ce n’était pas grand chose finalement – et ma fatigue mentale, je n’ai plus le courage de discuter. Ce soir c’est la cérémonie d’ouverture des JO. Je regarde 10min assise dans ce salon des années 80. Mais les commentaires serbes ont fini de m’achever, je ne comprends rien, je pars me coucher.
J’ai réussi à bien dormir, malgré que je n’étais pas rassurée à 100%, et que j’ai eu super chaud (j’aurais tellement mieux dormi dans ma tente). J’ai hâte de déjeuner et de partir. Il insiste pour que je reste une journée, il voudrait me faire visiter les environs. Je comprends surtout qu’il est seul et que ma compagnie l’enchante (sans prétention aucune !!) mais c’est trop bête, j’ai un mariage turque dans moins d’un mois ! Alors il est temps pour moi de continuer, et de faire les 10km restant pour passer la frontière Bulgare !!
Alors oui mon passage en Serbie ne finit pas de la plus belle des manières. Mais cela n’entache pas tous les beaux moments passés précédemment, les belles rencontres et les beaux paysages serbes. Il faut bien qu’il m’arrive des galères ou des moments incommodants pour apprécier tous les autres. Je relativise très vite, heureuse de retrouver ma liberté perdue le temps d’une soirée. Heureuse de découvrir un nouveau pays, et d’aller rencontrer les Bulgares et contredire tous ces aprioris entendus la veille par Dejan.
Bouh! Je rêve avec toi et j’ai peur pour toi… mais quel exploit! Des beaux paysages, merci pour les photos.
C’est pas que dans les journaux Serbes qu’il faut un article sur la petite française qui traverse l’Europe de l’est avec son vélo jaune, tu mérites un article en France et même plus.