Arrivée à bon port
Après ces 2 mois et demi en vélo, me voilà arrivée au village de Cansu à Dereören. Je la retrouve les pieds dans l’eau, à la rivière du village avec Emre, son futur mari, Nihat son frère, des amis et Nermin sa maman. Les retrouvailles sont belles après 2 ans. Je crois qu’ils sont un peu déçus que je ne parle toujours pas un mot turc… comme la dernière fois, nous communiquerons grâce aux mains et surtout à Google. Le soir-même je suis plongée dans le bain des festivités turques. Nous nous rendons en ville à Havran pour célébrer le “nişan bohcasi” d’un couple que je ne connais pas. Je découvre cette tradition turque, c’est la soirée des fiançailles. Comme très souvent, il y a les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Tout le monde offre des cadeaux pratiques pour les futurs mariés et leur future maison : vêtements, pantoufles, parfum, serviettes, draps.. le salon déborde de cadeaux. On nous offre çay (thé turc, prononcer chaï) et petites gourmandises.
Les préparatifs du mariage
Durant cette première semaine, je vais pouvoir aider à la préparation du mariage. Dès le lendemain, je mets les mains à la pâte. Et ce n’est pas peu dire. Me voilà dans la cave familiale au milieu de toutes les femmes du village. Autre tradition locale : avant chaque mariage, toutes les femmes viennent aider la famille de la mariée à préparer les Mantis, les ravioles turques. Assises en tailleurs devant une mini tablette en bois, chacune à son rôle : celle qui fait le pâton, celle qui étale la pâte, celle qui la découpe en petit carré et celle qui forme des petits ziguiguis. Je suis de cette dernière étape, j’apprends, mais je n’ai pas encore la technique. Je n’ai pas non plus leur souplesse ! 2h assise en tailleur, heureusement la bonne humeur est de mise, j’oublie les douleurs. Superbe moment qui me donne l’occasion de rencontrer les femmes du village mais aussi des amies de la famille qui viennent d’autres villages. Cette semaine-là a aussi été l’occasion d’accompagner Cansu en ville pour faire les derniers préparatifs et me permettre d’acheter une belle robe pour le mariage. J’assiste à des répétitions de danses traditionnelles, à la séance photo des mariés qui se fait dans les très belles ruelles d’Ayvalik, non loin de la mer. Je suis aussi présente pour leur mariage civil. Cansu est magnifique dans sa robe blanche et sobre. Nous retrouvons tout le monde à la mairie, heureusement Nermin m’a prêté des habits pour l’occasion car j’aurai fait un peu tâche en short/débardeur.. Je ne comprends pas un mot du discours du “maire”, mais je comprends “Evet”, oui en turc, prononcés par les mariés. Très beau moment en petit comité avec les amis et leurs familles sous le regard d’Atatürk qui prone derrière eux en noir et blanc.
Que la fête commence !
1er jour de mariage
Et après “quelques” légumes à éplucher et couper – pommes de terre, tomates, haricots verts, oignons – il est temps de célébrer le mariage ! Trois jours qui vont être intenses, surtout pour Cansu et sa famille. Dès le vendredi soir, la cour de chez Nermin et Galip, les parents de Cansu, commence à se remplir. À tour de rôle, des petits groupes s’installent sur les tables parsemées dans la cour et dans la rue pour dîner. Sur de gros plateaux, sont disposés dans des bols toutes les différentes préparations qui cuisent dans les grosses marmites : Tavuk çorbasi (soupe de poulet), Ezme (salade de tomates), pâtes au yaourt, viandes, haricots verts le tout accompagné de pain, on se régale. Et il faut prendre des forces car après le repas direction l’école du village pour aller danser ! Ce premier soir est dédié à la soirée du Henné. Cansu porte une magnifique robe beige pour l’occasion, Nermin m’a prêté une belle robe bleue – plus adaptée que le cycliste. Ce sont d’abord les femmes principalement qui prennent place sur la piste de danse. Des petits groupes se forment, j’apprends à danser en les imitant. Cansu danse au milieu des petits cercles, elle ne va pas arrêter de la soirée ! Elle change aussi de tenue pour porter une belle robe verte, spéciale pour la soirée hennée. Nous on fait des petites pauses sur les tabourets installés tout autour de la piste. On alterne aussi avec des représentations de danses traditionnelles des mariés et de danseurs. Après les femmes, autour de minuit, ce sont les jeunes hommes qui dansent. Leur danse est plus chorégraphique. La soirée se termine chez les parents de Cansu. Cansu met une tenue rouge appelée “bindalli”, symbolisant chance et positivité. Elle s’assoit au centre du salon, entourée de nombreuses femmes du village. Sous une belle musique émouvante, deux femmes mettent du henné sur le creux des mains de Cansu puis sous ses pieds. Arrive Emre dans la pièce. Il doit la porter, la porter haut pour qu’elle touche le plafond avant de la poser sur son lit. Nazire, une femme du village, me propose d’avoir moi aussi du henné dans le creux des mains. Je m’endors avec les mains marrons donc.
2ème jour de mariage
Mariage turc rime avec manger. Le deuxième jour est placé sous cette thématique. Nous commençons dès le matin avec le kahvalti à 11h avec Cansu et Hatice, une amie de Cansu. Il y a déjà du monde dans la cour venu aussi prendre le petit-déjeuner. Des soupes, du riz/yaourt, pomme de terre, tomates/concombre, fromage, olives, mantis au yaourt, c’est un festin. Je la joue stratégie, et ne mange pas trop pour être prête à remanger derrière (et ça ne loupe pas, une mamie viendra me proposer de manger un bout avec elle !). Aujourd’hui je passe du temps avec les femmes du village, qui sont toujours en train de s’affairer dans la cour pour préparer les énormes marmites. Je rencontre Sevgi, une superbe femme du village d’en face. On avait fait les mantis ensemble et on a dansé un slow toutes les deux la veille, ça rapproche. Le soir venu, il est temps de se préparer pour une nouvelle soirée. Je sors ma belle robe de princesse achetée dans la semaine. Robe verte et talon, maquillage, je ne me reconnais pas. Maintenant je suis une pro des danses turques, prête à danser toute la nuit. La soirée est un peu semblable à celle de la veille, je reconnais certaines musiques. J’apprends la façon dont on offre des cadeaux aux mariés : ils se placent au centre, on leur met des rubans autour du cou, et tout le monde fait la queue pour accrocher des billets/médailles d’or aux rubans. J’étais un peu embêtée moi qui pensais trouver une urne. Je passe beaucoup de temps avec Hatice qui m’explique les traditions turques et me rassure, je pourrais accrocher des billets le lendemain.
3ème jour de mariage
Et puis c’est le jour-j. Troisième jour intense ! Il fait toujours aussi chaud. Après un kahvalti avec Nermin et d’autres femmes du village, je rencontre des amis et de la famille de Nermin et Galip. Puis à 13h vient l’heure du keşkek, plat cérémoniel traditionnel turc. Une marmite est placée au centre de la cour remplie d’haricots blancs. Avec deux grandes spatules en bois, il s’agit de les écraser. Ce sont les jeunes hommes du village qui sont invités à le faire. À tour de rôle, ils tournent en duo autour de la marmite, sous la musique entraînante d’un tambour et d’une flûte. Chaque participant reçoit une serviette sur leur coup après leur effort. J’ai donc eu ma serviette car pour le fun je m’y essaie avec Nermin. Le geste n’est pas si facile. On ajoute de l’eau au fur et à mesure, c’est de plus en plus dur et la marmite est de plus en plus pleine… Et puis il y en a des plus doués que d’autres, parfois il y en a autant sur le sol (ou les chaussures) que dans la marmite! Une deuxième marmite est amenée, et une fois les mixtures prêtes, il est temps de goûter. Les jeunes hommes servent les grands plateaux remplis de bols de riz, pois chiches, condiments et le fameux keşkek. Je déjeune avec la cuisinière, je suis honorée. On se régale. Puis nous rentrons à l’intérieur. Cansu, magnifique en robe de mariée, est dans le salon, Nermin dans la chambre. La maison se remplit, les femmes du village viennent dire au revoir à Cansu. Elle va passer de la maison de son père à la maison de son époux. C’est le moment des pleurs. Surtout lorsque Galip, son papa vient lui dire au-revoir, ce fut très émouvant. Il lui passe une ceinture rouge autour de la taille pour apporter l’abondance et la chance dans son futur foyer. Cette ceinture rouge et le voile rouge symbolise aussi la pureté et l’innocence, le passage de l’état de jeune fille à celui de femme. Et là tout s’enchaîne ! Galip emmène sa fille, ce sont au tour des hommes du village de dire au revoir à Cansu, puis elle est amenée dans la voiture d’Emre sous le drapeau turc. Nihat, le frère de Cansu, et son cousin, à ce moment-là, négocie de l’argent avec la famille d’Emre : ils doivent payer pour qu’il laisse sa sœur partir avec eux. Puis un cortège se forme, on suit les jeunes garçons qui dansent dans les rues avant que la voiture des mariés quitte le village – sous le drapeau turc. Avant de partir se préparer pour la dernière soirée, les jeunes garçons qui ont dansé cet après-midi et soutenu Nihat lui réclame maintenant une récompense : des pâtisseries turques ! Alors à genoux, ils entament un cri de guerre (en turc, je ne comprends pas) mais ça marche ! Nihat leur donne (après les avoir narguer!) des plateaux de baklava. Et puis finalement tout le monde se jette dessus, il faut dire que c’est délicieux. Il est temps de se préparer rapidement, nous partons au village du marié. Un bus est même prévu pour emmener les personnes du village. C’est à une heure de route. Cette fois, il y a beaucoup de monde de l’entourage du marié. C’est encore une très belle soirée entre danses traditionnelles, musique turque et fête.
Une semaine au village de Dereören
Après ces trois jours intenses, Cansu et Emre partent en lune de miel. Je vais passer ma deuxième semaine à Dereören avec Nermin, ses amies et sa famille. J’apprends à vivre au rythme turc, la journée commence tard, vers 10/11h au moment du kahvalti. Ce brunch est un pur régal. J’apprends plein de recettes auprès de Nermin. Ce qu’il y a de bien avec la cuisine c’est que la différence de langue n’est pas un problème. Je commence à connaître le nom des légumes en turc et je recopie ce qu’elle fait. Les journées sont bien remplies. J’ai mes petites missions : ramasser les aubergines, équeuter les haricots, donner l’eau aux vaches (j’ai essayé la traite mais je n’ai pas encore le coup de main…), entre tout ça il y a le moment du café turc partagé avec la soeur de Nermin, Nihal ou les voisines. Les après-midi sont bien chargées aussi, entre la cuisine, les préparations à faire pour l’hiver, la soeur de Nermin a des ruches, j’apprends donc à récolter le miel de façon artisanale. Et les soirées sont tout autant animées. Nermin et Galip m’amènent à plusieurs autres mariages, maintenant je suis une pro des traditions turques. Je passe aussi de superbes soirées avec les copines de Nermin à déguster du thé ou du café accompagné de gourmandises et bien sûr de graines de tournesol (je m’améliore pour les manger avec la langue!). Partout où je vais, j’ai été superbement accueillie.
Çay et graines de tournesol au bord de la mer Egée
Et puis la semaine se finit en beauté. Nermin, Galip, Nihat et leurs amis ont organisé une journée à la mer ! Je comprends qu’ils n’y vont jamais et que c’est pour me faire plaisir, je suis ultra touchée. Et on passe une superbe journée, rafraîchissante. Et, bien que je ne devrais pas être surprise, le pique nique turc est à un niveau 5 étoiles ! Burek, pains farcis, salades tomates/concombres, fromages, olives, pastèque et évidemment, çay (thé) + graines de tournesol. On se régale. Comme à l’image de ces 15 jours, ne pas pouvoir comprendre les conversations et échanger avec eux me frustre énormément. Mais je passe une superbe journée à leur côté. Voilà comment bien achever ces 15 jours incroyables avec Cansu, ses parents, son frère, leur famille et leurs amis.
Teşekkürler (merci) !!
Car ce lundi 2 septembre sonne la fin de mon aventure turque. Il est temps de repartir en France. N’ayant pas beaucoup de temps pour le retour, je prends l’option bus. Bus que je vais prendre à Edremit, la grosse ville proche de chez eux. Je dis au revoir à Nazire, sa fille, Sevgi, Nihal et ses filles, Anné (ça veut dire Maman en turc, c’est comme ça que j’appelle la maman de Nermin, je la connais que sous ce nom). Je reçois des cadeaux, beaucoup trop de cadeaux ! Des habits, du miel, des figues séchées, des noisettes, du café turc. Mes sacoches de vélo débordent alors avec Nermin ont fait un colis pour envoyer en France. Sauf qu’après 3 tentatives, on comprend que nourriture et liquide ne sont pas autorisés en cargo… Alors me voilà chargé de tout ça dans les sacoches! Jusqu’au bout on m’offre aussi à manger. Avant de prendre le bus, je suis invitée à déjeuner rapidement chez la tante de Nermin. Je goûte encore une spécialité turque, la farce qu’elles vont mettre dans les feuilles de vigne. Délicieux. Mais voilà, le bus m’attend, on court avec Nermin mais on est à l’heure. Galip nous rejoint avec mon vélo empaqueté comme j’ai pu dans un sac à vélo. Il est temps de se dire au revoir, très rapidement, le bus n’attend pas ! Je n’aime pas les au-revoir, là ils ont été furtifs. Je n’ai pas eu le temps de les remercier à la hauteur de leur accueil et l’hospitalité qu’ils m’ont réservés.
15 jours incroyables, remplis de traditions, de musique turque, de rencontres, de café turc, de cuisine turc (beaucoup, beaucoup), de mariages, de graines de tournesol, d’amour. Malgré la barrière de la langue, je me suis éclatée. Alors vivement la prochaine fois que je revienne, et comme promis, cette fois-là je serai meilleure en turc ! Il est temps maintenant de rentrer…